Le Japon ne sera bientôt plus la troisième économie mondiale : voici pourquoi

Publié par Pierre, le 21 novembre 2023

Temps de lecture :  minutes


Voici une annonce qui apparaît comme un changement d’ère : selon les dernières estimations du Fonds Monétaire International (FMI), le Japon est en passe de perdre sa place de troisième économie mondiale au profit de l’Allemagne. Profitons de cet événement pour en comprendre les causes et faire un état des lieux de l’économie japonaise.

Economie du Japon : l’ascension et la chute

Cette chute du podium marque un tournant hautement symbolique. Remontons un peu dans le temps pour en saisir la mesure. Après le désastre de la Seconde Guerre mondiale, le Japon vite une véritable renaissance. Pendant l’ère Shōwa, il connaît le fameux « miracle économique », une période de croissance forte et ininterrompue. En l’espace de quelques décennies, il passe du statut de nation en ruines à celui de poids lourd de l’économie mondiale.

Une ascension fulgurante

Le produit intérieur brut (PIB) du Japon dépasse celui de l’Allemagne de l’Ouest en 1968, puis celui de l’Union soviétique en 1978 : le pays grimpe ainsi sur la seconde marche du podium. Cette période de prospérité est tellement faste que, dans les années 80, certains économistes prédisent que le Japon finira inévitablement par dépasser les Etats-Unis. Il s’imposera alors comme le pays le plus riche du monde.

De nos jours, une telle vision peut prêter à sourire. Si on se penche sur cette période, on constate toutefois chez les Américains une véritable peur de voir les Japonais établir une mainmise sur leur pays. Les œuvres d’anticipation de l’époque (Blade Runner, Retour vers le Futur II, Le Neuromancien…) dépeignent souvent un futur dans lequel le Japon fixe les règles du jeu. Ce cliché est désormais connu sous l’appellation Japan takes over the world.

Le futur selon Blade Runner (1982) : sombre et… japonais.

L’année 1988 est généralement considérée comme l’apogée économique du Japon : le pays est alors numéro mondial dans des secteurs aussi variés que la banque, l’électronique ou encore l’automobile. Son PIB est supérieur à celui de la France et du Royaume-Uni combinés. Revers de la médaille : une bulle économique (バブル景気, baburu keiki, « économie de bulle ») commence à se former à partir de 1985, autour des actifs financiers et immobiliers.

Trois décennies de stagnation

L’éclatement de ladite bulle (バブル崩壊, baburu hōkai, « éclatement de la bulle »), qui survient en 1989, met un coup d’arrêt définitif à des décennies d’ascension. Le chômage augmente et la croissance ralentit fortement, jusqu’à aboutir à une situation de quasi-stagnation. La crise économique asiatique de 1997 contribue également à déstabiliser l’économie japonaise.

Les Japonais ont depuis donné aux années 1990 le surnom peu glorieux de « décennie perdue » (失われた10年, ushinawareta jūnen). Par la suite, l’Archipel ne retrouve plus son dynamisme d’antan : d’autres maux, comme la Grande Récession de 2008, l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, puis la pandémie de Covid-19 en 2020 continuent de miner l’économie japonaise et participent à l’augmentation continue de sa dette publique. En 2023, cette dernière est la plus élevée au monde, représentant 263 % du PIB.

Dans les esprits, la décennie perdue s’est ensuite muée en deux (失われた20年) puis trois décennies (失われた30年), pour désigner trente ans d’économie atone.

Un géant endormi

Malgré ses difficultés, le Japon du début du XXIe siècle reste un poids lourd de l’économie mondiale. Il ne devient pas forcément moins riche, mais son imposant PIB croît de manière très lente. A contrario, la Chine entame sa renaissance économique dans les années 80, sous la gouvernance de Deng Xiaoping. Cette envolée permet au géant asiatique de dépasser son rival en 2010, pour talonner les Etats-Unis.

S’ensuit une longue période de statu quo : le Japon reste installé à la troisième place, loin devant les économiques d’Europe de l’ouest. Jusqu’à maintenant.

L’Allemagne devient la troisième économie mondiale

Pour la première fois en 55 ans, l’Allemagne, première économie de l’Union européenne, devrait donc dépasser le Japon. Selon les projections du FMI, son PIB nominal devrait croître de 8,4 % par rapport à 2022, pour atteindre 4 429 milliards de dollars. Le PIB du Japon devrait quant à lui reculer de 0,2 % , pour tomber à 4 230 milliards de dollars.

Ce dépassement est d’autant plus notable que la population allemande est inférieure d’environ un tiers à celle du Japon : 83 millions contre 124 millions. De plus, l’économie allemande, rudement éprouvée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la crise énergétique qu’elle a provoquée, n’est pas non plus dans une situation idéale.

On peut identifier plusieurs facteurs expliquant ce récent dépassement et, plus largement, le lent déclin japonais.

La lente dégringolade du yen

La cause la plus évidente est la faiblesse du yen par rapport à l’euro. Selon un article paru dans Bloomberg, le yen a perdu 12,4 % de sa valeur par rapport au dollar et 12 % par rapport à l’euro depuis le début de l’année, soit la plus forte baisse parmi les monnaies du G10. A l’heure où j’écris ces lignes, 1 euro vaut 163 yen. Notons que c’est une bonne chose à savoir si vous prévoyez un voyage au Japon.

Le rapport yen / euro sur cinq ans (source : XE.com)

Le rôle de la hausse des prix

Autre facteur à prendre en compte : l’inflation. En effet, le produit intérieur brut nominal tient compte de ce facteur (contrairement à celui en valeur réelle). Or, l’Allemagne a connu une inflation supérieure à celle du Japon sur la période concernée : jusqu’à 6 % contre environ 3 %.

Une tendance appelée à s’accentuer

Il n’est pas rare que deux pays possédant un PIB équivalent échangent régulièrement leur place d’une année sur l’autre. Cependant, cet état de fait devrait s’inscrire dans la durée. Il faut bien se figurer que, dix ans auparavant, la seule fluctuation des devises n’aurait jamais permis à l’Allemagne de dépasser le Japon. Il existe donc des causes plus profondes.

En se penchant sur un article paru dans l’Asahi Shimbun, on apprend qu’en PIB réel, la croissance annuelle moyenne a été de 1,2 % pour l’Allemagne entre 2000 et 2022, contre 0,7 % pour le Japon. Il existe donc un véritable écart en matière de dynamisme économique.

Le Japon, une économie paralysée ?

Ce déclassement jette une lumière crue sur les faiblesses structurelles de l’économie japonaise. Essayons d’en dresser un inventaire.

Une main-d’œuvre en baisse constante

Il suffit de passer une journée dans une ville japonaise pour s’en rendre compte : la population locale est particulièrement âgée. Si le pays peut se targuer de posséder la plus grande espérance de vie au monde, les naissances y sont rares et ne suffisent plus à compenser les décès. Le taux de fécondité, évalué à 1,26 enfant par femme, est sensiblement inférieur au seuil de remplacement des générations, établi à 2,1.

Cette augmentation du nombre de retraités dans la population au pour effet de réduire la main-d’œuvre disponible, c’est-à-dire le nombre de Japonais susceptibles d’occuper un emploi. Si la politique sur l’immigration, traditionnellement très stricte, s’est récemment assouplie, le pays reste peu enclin à y recourir.

La pyramide des âges montre que plus de 28 % des Japonais ont plus de 65 ans (source).

Une innovation en berne

Ce vieillissement de la population a pour effet indirect de limiter la capacité d’innovation nationale : les entreprises ont de plus en plus de difficultés à recruter des employés jeunes et susceptibles d’apporter des idées nouvelles. Là où le Japon était autrefois perçu comme un pays avant-gardiste, il n’est plus qu’à la 13e place concernant l’indice mondial de l’innovation, loin derrière d’autres pays asiatiques comme Singapour (7e) ou la Corée du Sud (6e).

Les inventions japonaises sont pourtant légion : le Walkman (Sony), les premiers magnétoscopes grand public (Sony avec le néerlandais Philips) avec leurs fameuses cassettes (Betamax pour Sony, VHS pour JVC), les formats CD, DVD et Blu-ray (Sony et d’autres sociétés, notamment Philips), la montre à quartz (Seiko), le Shinkansen, soit le premier train à grande vitesse au monde, les nouilles instantanées (Nissin Foods), les calculatrices de poche (Sanyo et Casio), le code QR (Denso-Wave)…

Cependant, force est de constater que la majorité de ces inventions datent du XXe siècle, au mieux du début du XXIe siècle. Les grandes innovations viennent à présent d’autres pays. Prenons un exemple : il y a une vingtaine d’années, nous regardions avec envie les téléphones portables japonais, beaucoup plus avancés que les nôtres et capables de naviguer sur Internet. Aujourd’hui, ils ont été complètement supplantés par les smartphones iOS et Android.

Des perspectives d’emploi peu attrayantes

Autre problématique qui handicape l’économie japonaise : le manque d’attractivité des emplois. Sacré bon dernier du bien-être au travail par une étude du McKinsey Health Institute, le pays peine en outre à proposer des salaires compétitifs par rapport à ses voisins asiatiques. Selon Tadashi Yanai, le président de Fast Retailing, la maison-mère de la société Uniqlo, les personnes employées à Shanghai ou Pékin peuvent espérer toucher un salaire deux voire trois fois supérieur à celui qu’ils obtiendraient en travaillant au Japon.

Les chiffres de la productivité ne sont pas plus rassurants : les salariés japonais sont les derniers du G7 et classés 23e sur 36 parmi les pays membres de l’OCDE. Ils produisent donc relativement peu de richesse par heure travaillée.

Le Japon joue sa place dans l’économie mondiale

Au vu de ces informations, il y a de quoi être pessimiste. Ce constat est malheureusement partagé par plusieurs personnalités japonaises. Dans l’article de Bloomberg présenté plus haut, Yuichi Kodama, économiste à l’Institut de recherche Meiji Yasuda, estime que « sur les moyen et long termes, il est possible que le Japon devienne un pays sans influence ».

L’heure de vérité a donc sonné pour le Japon. Il se trouve à l’aube d’un effondrement démographique : selon le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, sa population devrait passer sous la barre des 100 millions d’habitants d’ici 2048 et avoisiner les 86 millions d’ici 2060. Ce bouleversement achèvera-t-il de plomber l’économie nationale ? Ou bien enclenchera-t-il une révolution dans les esprits ? Il est encore trop tôt pour le dire.

Dans tous les cas, il est fort possible que le Japon ne retrouve jamais sa troisième place. Selon le cabinet Standards & Poor’s, c’est l’Inde qui accédera à cette position d’ici 2030.


Pierre


Je suis le créateur de Ganbare. Polyglotte et passionné par la culture japonaise, j'ai décidé de mettre à votre service mes meilleures méthodes pour apprendre le japonais.


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