L’étonnante origine du nom Ghibli : un voyage dans le monde et les langues

Publié par Pierre, le 1 mars 2024

Temps de lecture :  minutes


Vous connaissez ou avez forcément entendu parler du fameux Studio Ghibli, la plus importante société d’animation japonaise. L’évoquer sur un site consacré à la culture japonaise est une évidence qui confine presque au cliché. Alors faisons preuve d’originalité : au lieu de simplement présenter les films du studio, partons à la découverte de l’origine du nom Ghibli. Une anecdote qui vous fera voyager aux quatre coins du monde et qui ne manquera pas de vous étonner.

Le nom Ghibli en japonais

Commençons par donner le nom local de l’entreprise : 株式会社スタジオジブリ, qui se prononce kabushiki gaisha sutajio jiburi. Laissons de côté 株式会社 (kabushiki gaisha), qui correspond à une forme juridique, l’équivalent de notre « société par actions ».

Concentrons-nous plutôt sur la deuxième partie du nom, スタジオジブリ. Vous remarquerez qu’elle est écrite en katakana, le syllabaire japonais servant à transcrire les noms étrangers. Si vous ne les maîtrisez pas encore, vous pouvez télécharger votre tableau des katakana et consulter cet article pour apprendre les katakana.

Le logo officiel du Studio Ghibli.

Tout d’abord, スタジオ (sutajio) signifie tout simplement « studio », un mot très courant probablement emprunté à l’anglais. Mais c’est surtout ジブリ (jiburi) qui nous intéresse ici. Notez au passage que ce nom commence par le son « dji » et se prononce plus ou moins « djibouli » (plus précisément : [d͡ʑiꜜbɯ̟ᵝɾʲi]). Retenez bien ce détail, car il a son importance.

L’écriture en katakana nous met sur la piste d’une origine étrangère… Oui, mais laquelle ?

De l’arabe au japonais

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le nom Ghibli provient de… l’arabe ! Il s’agit à l’origine du terme qibla (قبلة), qui signifie « direction ». En arabe, la Qibla n’est autre que la direction de la Kaaba, le lieu le plus saint de l’Islam, situé à La Mecque, en Arabie saoudite. C’est dans cette direction que doit être réalisée la prière musulmane.

Vous vous demandez certainement quel peut bien être le lien entre un studio d’animation japonais et un lieu saint. Nous n’en sommes qu’au début de notre parcours.

Un passage par la Libye

Si vous avez quelques connaissances sur la langue arabe, vous savez qu’il existe de nombreux dialectes régionaux. Celui qui nous concerne ici est l’arabe libyen. On y trouve l’adjectif قبلي (qibliyy), qui signifie « qui vient de la Qibla », autrement dit « du sud », La Mecque se trouvant au sud-est de la Libye. Cette direction désigne localement un vent, le sirocco, qui souffle du sud vers le nord, soit « un vent qui vient de la Qibla ».

En Libye, le son q de l’arabe standard est prononcé g, comme dans « gui ». C’est d’ailleurs pour cette raison que le nom de l’ancien chef d’Etat libyen Mouammar Kadhafi est parfois orthographié Gadaffi. Le nom libyen du sirocco se prononce donc gibliyy.

Le nom Ghibli : un emprunt à l’italien

Notre voyage ne s’arrête cependant pas là et impose une nouvelle étape : l’Italie. En effet, durant la guerre italo-turque (1911-1912), l’Italie conquiert plusieurs provinces de l’Empire ottoman en Afrique du nord : la Tripolitaine, le Cyrénaïque et le Fezzan. Ces territoires sont ensuite incorporés dans une colonie unifiée, la Libye italienne. Le royaume d’Italie la conserve jusqu’à son invasion par les Alliés en 1943, pendant la Seconde Guerre mondiale, puis la jeune République italienne y renonce formellement en 1947, lors de la signature du Traité de Paris.

L’empire colonial italien en 1939. Il englobe notamment l’Albanie, la Libye, l’Érythrée, l’Éthiopie et une partie de la Somalie. Toutes ces colonies sont perdues après la guerre.

Pendant cette période coloniale, la culture libyenne influence celle de l’Italie. Le terme arabe qibliyy passe en italien, orthographié ghibli, pour désigner le sirocco, en plus du mot italien scirocco.

Un avion nommé Ghibli

L’image d’un vent du désert, chaud et puissant, s’impose vite dans l’imaginaire italien. Sont nommés Ghibli un torpilleur de la classe Ciclone, plusieurs voitures du constructeur automobile Maserati, mais aussi un avion, le Caproni Bergamaschi Ca.309.

Ce bombardier léger est produit à partir de 1936 par la société Caproni pour le compte de la Regia Aeronautica, l’armée de l’air du royaume d’Italie. Il se retrouve ensuite engagé sur plusieurs théâtres de la Seconde Guerre mondiale, principalement la France et la Libye. Si l’on en croit le site Avions légendaires, les performances du Ghibli au cours du conflit sont peu convaincantes !

Un Caproni Bergamaschi Ca.309, dit « Ghibli », photographié à Palerme, Sicile, en 1943 (source).

Si vous connaissez le Studio Ghibli et surtout son cofondateur, Hayao Miyazaki, la mention d’un vieil avion italien vous aura forcément fait réagir. Miyazaki est passionné d’aviation et a baigné dans ce milieu depuis son plus jeune âge. Son père, Katsuji Miyazaki, dirigeait même une entreprise fabriquant des gouvernes d’avions, Miyazaki Airplane (宮崎航空機製作所 en japonais).

Miyazaki et l’aviation, une grande histoire d’amour

Dans l’œuvre de Miyazaki, le ciel est sillonné par des machines volantes richement détaillées, souvent fantaisistes (Nausicaä de la Vallée du Vent, Le Château dans le ciel…), parfois plus réalistes.

Une histoire de cochons volants

L’avion le plus mythique du studio est sans conteste celui de Porco Rosso (紅の豚, Kurenai no Buta), sorti dans les salles obscures en 1992, lui-même adapté d’un court manga, L’Ère des Hydravions (飛行艇時代, Hikōtei Jidai), paru en 1989. Le film se déroule dans l’Italie de l’entre-deux-guerres, plus précisément dans une mer Adriatique où l’hydravion est le moyen de transport le plus commode. Le personnage principal, Porco Rosso, ancien pilote transformé en cochon, possède un magnifique hydravion rouge vif.

L’hydravion de Porco Rosso, décoré du drapeau italien.

Plusieurs avions du film s’inspirent d’appareils ayant réellement existé. Celui du héros est appelé SIAI S.21, en hommage au légendaire Savoia-Marchetti S.21, bien que les puristes le rapprochent du tout aussi illustre Macchi M.33. Il est même fait référence à la coupe Schneider, une course d’hydravions ayant réellement existé et organisée à plusieurs reprises en Italie.

L’unique exemplaire du S.21, qui a inspiré l’hydravion de Porco Rosso.

Le nom Ghibli n’est d’ailleurs pas en reste : il est visible sur un moteur d’avion dans un scène du long-métrage.

Le moteur ultime pour vos courses d’hydravions.

Quand l’Italie rencontre le Japon

Une autre référence marquée à l’aviation italienne se trouve dans le film Le vent se lève (風立ちぬ, Kaze tachinu), sorti en 2013. Ce métrage est une biographie romancée de l’ingénieur Jirō Horikoshi (堀越 二郎, Horikoshi Jirō), concepteur du célèbre avion de chasse Mitsubishi A6M, surnommé « Zero ». D’autres appareils de l’époque y sont mis à l’honneur, comme les Mitsubishi A5M « Claude » et G3M.

Le Mitsubishi A6M « Zero ». L’entreprise familiale des Miyazaki a d’ailleurs fabriqué des pièces pour cet avion.

Si les aéronefs japonais sont au cœur du film, l’aviation italienne y fait aussi une apparition remarquée. L’histoire fait se rencontrer, en rêve, le personnage principal Jirō, et l’ingénieur italien Giovanni Battista Caproni. Ce dernier n’est autre que le fondateur de l’entreprise Caproni, créatrice du Ca.309 Ghibli !

Le véritable Giovanni Battista Caproni (à gauche) avec son frère, et sa version onirique dans Le vent se lève.

Plusieurs avions de la firme sont fidèlement reconstitués, comme les Ca.3, Ca. 4 et Ca. 90. Impossible de ne pas mentionner l’engin le plus fou du film, un gigantesque hydravion à neuf ailes. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il a réellement existé ! Il s’agit du Ca. 60 Transaereo, conçu pour transporter un grand nombre de personnes. Il a malheureusement connu le même sort que celui du film, s’écrasant dans le lac Majeur lors d’un essai en 1921. Le véritable Caproni n’a toutefois pas assisté à ce vol : arrivé en retard, il a tout au plus pu constater l’échec de son projet.

Le Caproni Ca. 60 Transaereo, photographié en 1921.

Ghibli, un vent nouveau sur l’animation

Si Hayao Miyazaki a choisi le nom d’un vent pour son studio, ce n’est pas un hasard : son souhait était de « faire souffler un vent de nouveauté » dans le secteur de l’animation. Cet amour pour l’aviation va cependant au-delà des simples machines : le thème du vol, physique ou métaphorique, est l’un des moteurs de ses œuvres.

Dans Le vent se lève, Horikoshi comme Caproni sont confrontés à la dure réalité du monde. L’un aimerait débarrasser son prototype de son armement pour le rendre plus maniable, déclenchant l’hilarité de ses collègues. L’autre voit s’écraser une machine qui aurait dû représenter le futur de l’aviation. Tous deux n’ont guère qu’une décennie pour briller en tant qu’ingénieurs, avant de tomber dans l’oubli. Sans dévoiler la fin du film, elle propose une réflexion à la fois simple et touchante sur le thème de la création et sur les responsabilités qui en découlent.

Un univers riche et paradoxal

Le rapport de Miyazaki et du Studio Ghibli à l’aviation baigne dans un fascinant paradoxe. D’un côté, les films sont porteurs d’un message puissant contre la guerre, de l’autre, les machines sont représentées avec un soin du détail qui confine à la maniaquerie.

De la même manière, il peut sembler étrange qu’un bombardier puisse être à l’origine du nom de l’entreprise. Dans plusieurs films du studio, principalement Le Tombeau des lucioles ou Le Château ambulant, ils apparaissent, à juste titre, comme des engins de mort et de destruction.

Des B-29 américains, fidèlement reproduits dans Le Tombeau des lucioles.

Cette contradiction, parfaitement assumée, empêche les films du studio de tomber dans le manichéisme. La technologie est à double tranchant : elle peut être aussi fascinante que potentiellement dangereuse. Ainsi, Le dieu-guerrier de Nausicaä de la Vallée du Vent a été créé pour être une arme, mais il n’est lui-même ni bon, ni mauvais. Dame Eboshi de Princesse Mononoké apparaît de prime abord comme un personnage impitoyable et opposé à l’ordre naturel, mais son objectif est de bâtir un monde plus juste.

Pour finir, n’oublions pas que le Ca. 309 Ghibli est basé sur un avion civil, le Ca. 308, et est à l’origine pensé pour assurer un rôle d’éclaireur. Une ambivalence qui sied parfaitement à l’œuvre du studio.

Comment prononcer « Ghibli », au juste ?

Refermons cet article par une curiosité. Vous aurez sans doute noté que le nom du studio se prononce jiburi en japonais, mais « guibli » en italien, avec un g dur. Il s’agit donc bien d’une faute de prononciation. Cette erreur n’a d’ailleurs pas échappé à l’un des fondateurs, Toshio Suzuki : la prononciation est incorrecte, mais elle est entrée dans les usages au Japon, il est donc trop tard pour la rectifier !

Une prononciation plus proche de l’italien apparaît dans les courts-métrages Ghiblies et Ghiblies Episode 2, dont le titre est orthographié ギブリーズ (Giburiizu) en katakana, donc avec un g dur. Le deuxième épisode s’ouvre même sur blague très appuyée concernant la prononciation du nom. Il semblerait que le réalisateur des Ghiblies, Yoshiyuki Momose, ait eu envie de rectifier quelque chose !

Vous connaissez à présent les origines du nom Ghibli et sa prononciation… pas si exacte. J’espère en tout cas que ce billet vous a plu, vous a appris des choses et, surtout, qu’il vous aura donné envie de vous (re)plonger dans les films du studio.


Pierre


Je suis le créateur de Ganbare. Polyglotte et passionné par la culture japonaise, j'ai décidé de mettre à votre service mes meilleures méthodes pour apprendre le japonais.


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