Le rendaku : pourquoi la prononciation des consonnes change dans les mots composés

Publié par Pierre, le 27 août 2024

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Voici un nom mystérieux pour un phénomène que vous avez forcément rencontré dans votre apprentissage du japonais. Aussi appelé « voisement séquentiel », le rendaku correspond au voisement de la consonne initiale des composants de mots composés ou préfixés. Vous n’avez rien compris à la phrase que vous venez de lire ? Cet article vous expliquera de manière simple ce point de prononciation en apparence compliqué.

Pourquoi on dit hitobito et non hitohito

Prenons un mot qui est souvent présenté aux débutants : le « pluriel » de 人 (hito), « être humain », 人人 ou 人々 (hitobito), « les gens ». Vous remarquerez qu’il se forme en redoublant le mot 人. Mais pourquoi se prononce-t-il hitobito plutôt que hitohito ? D’où peut bien sortir ce b ? Il s’agit d’un exemple de rendaku (連濁 en japonais). Le h du deuxième hito, qui se trouve à l’intérieur d’un mot composé (hitobito) se transforme en b.

Autre exemple : 手紙 (tegami), composé de te (main) + kami (papier), qui signifie « lettre ». Le k de kami se transforme ici en g, tegami.

Le principe du voisement

Promis, nous allons faire en sorte de garder un vocabulaire simple. Il est toutefois intéressant d’expliquer ce qu’est le voisement. Il s’agit d’un phénomène de phonétique, qui consiste à remplacer une consonne dite sourde par une consonne dite voisée.

Il existe des couples de consonnes sourde et voisée, qui se prononcent au même endroit dans la bouche, appelé point d’articulation. Le k et le g de kami/tegami en est un. La différence réside dans le fait que pour une consonne sourde, les cordes vocales ne vibrent pas, tandis qu’elles vibrent pour une consonne voisée. Faites un test : prononcez « sssss » puis « zzzzz » en posant la main sur votre gorge. Vous constaterez que le son est produit au même endroit, avec une vibration de vos cordes vocales pour le « zzzzz ».

Cette dualité entre consonnes sourdes et voisées se retrouve d’ailleurs dans l’écriture japonaise. Si vous avez téléchargé les tableaux des kana (hiragana et katakana) en vous inscrivant sur le site, vous les remarquerez facilement. Par exemple, pour le duo k/g, on a :

か き く け こ
(ka ki ku ke ko)

が ぎ ぐ げ ご
(ga gi gu ge go)

Il ne vous aura pas échappé que les lettres sont les mêmes, distinguées par deux petits traits, le dakuten. Par exemple, か (ka) et が (ga).

Les consonnes concernées par le rendaku

Toutes les consonnes du japonais ne sont pas concernées. Voici celles qui le sont :

Consonne sourde

Consonne voisée

k

g

s

z

sh

j

t

d

ch

j

ts

z

h

b

f

b

Prenons un exemple pour chacune de ces consonnes.

k/g : ori + kami = origami (おりみ, « papier à plier »)

s/z : nigiri + sushi = nigirizushi (にぎりし, « boulette de riz avec une tranche de poisson »)

sh/j : ya + shirushi = yajirushi (やるし, « flèche »)

t/d : toki + toki = tokidoki (ときき, « de temps en temps »)

ch/j : hana + chi = hanaji (はな, « saignement de nez »)

ts/z : kokoro + tsukai = kokorozukai (こころかい, « attention, anxiété »)

h/b : te + fukuro = tebukuro (てくろ, « gant »)

Un cas particulier : ch/j et ts/z

Si vous avez fait l’effort d’apprendre les hiragana, vous noterez que le rendaku donne lieu à des hiragana avec dakuten que vous n’avez sans doute pas l’habitude de voir : ぢ et づ. On les rencontre effectivement dans ces cas-là. En japonais standard, ぢ se prononce comme じ, à savoir « ji » (ʑi en alphabet phonétique international), mais dans certains dialectes, il peut se prononcer « dji » (d͡ʑi). Quant à づ, il se prononce comme ず, « zu » (zɨᵝ en API), mais il peut se prononcer « dzu » (d͡zɨᵝ) dans certains dialectes.

A moins de chercher à vous compliquer la vie, vous apprendrez le japonais standard en priorité. Gardez donc à l’esprit que ぢ = じ et que づ = ず. L’usage de ぢ et de ず permet d’identifier un mot composé.

Par exemple, 三日月 (mikazuki, « croissant de lune ») s’écrit みかき en hiragana, ce qui permet d’identifier qu’il s’agit d’un mot composé de 三日 (mika, « trois jours ») + 月 (tsuki, « lune »).

Les règles du rendaku

Je sais que vous aimeriez que le rendaku soit prédictible dans chaque situation. Mauvaise nouvelle, ce n’est pas le cas. Il ne s’applique pas de manière systématique, même si des règles existent pour certaines situations. Une illustration parlante : le nom 仮名 (kana), qui désigne les caractères du japonais, devient gana dans 平仮名 (hiragana), mais reste kana dans 片仮名 (katakana). Aucune explication à vous fournir, c’est comme ça !

Qu’à cela ne tienne, voyons les règles qui régissent l’usage du rendaku.

Une question de vocabulaire : rendaku et origine des mots

Si vous avez parcouru l’article sur les lectures des kanji, vous savez que le lexique japonais a des origines diverses. Il peut s’agit du japonais archaïques (wago), du chinois (kango) ou encore d’autres langues (gairaigo).

Pour rappel, voici les diverses origines des mots japonais.

Les wago, d’origine japonaise

De manière générale, les wago sont concernés par le rendaku. Ce dernier pourrait être intimement lié à la structure des mots archaïques. Ainsi, un rendaku pourrait provenir d’une ancienne particule の (qui marque la possession) ou に (qui indique un lieu). Par exemple, l’oiseau appelé 山鳥 (yamadori), « faisan scintillant », a peut-être été appelé par le passé 山の鳥 (yama no tori, « oiseau de montagne ») et les sons « no t- » de no tori ont fini par être fusionnés en un seul, le « d- » de dori.

Ensuite, les wago commencent en principe par une consonne sourde (k, t, s, sh…), donc susceptible de subir un rendaku.

Les kango, d’origine chinoise

A l’inverse, les kango ne sont pas concernés par le rendaku. Nombre d’entre eux commence par une consonne « obstruante » ou « sibilante » (b, d, g, z…), donc déjà voisée : impossible d’y appliquer une transformation.

Ensuite, l’application du rendaku pourrait introduire des ambiguïtés parmi les kango. Par exemple, dans 入学試験 (nyūgakushiken, « examen d’entrée »), 試験 (shiken, « examen ») ne subit pas la transformation du sh en j. Si c’était le cas, il se prononcerait alors comme 事件 (jiken, « affaire, incident »). Vous imaginez sans mal le quiproquo.

Il existe évidemment quelques exceptions, comme le nom japonais de la Chine, 中国 (chūgoku). La lecture du caractère 国, koku, est bien d’origine chinoise, mais il y a un rendaku, chūgoku. Par contre, le nom de la Corée, 韓国 (kankoku) laisse le k de koku inchangé.

Autre terme fréquent, 会社 (kaisha), « entreprise ». Ce kango subit un rendaku dans des mots composés tels que 株式会社 (kabushigaisha, « société par actions ») ou 航空会社 (kōkūgaisha, « compagnie aérienne »).

Le cas des gairaigo

Restent les gairaigo, ces mots empruntés à d’autres langues ou tardivement au chinois. En principe, les mots étrangers ne subissent pas le rendaku. Vous ne verrez donc pas de changements de consonnes étranges sur des termes pris à l’anglais ou au français.

Par exemple, コーヒー (kōhī), mot emprunté au néerlandais pour dire « café » ne changera pas si vous en faites un café instantané, インスタントコーヒー (insutantokōhī) ou un café glacé, アイスコーヒー (aisukōhī). Pas de ゴーヒー (gōhī) qui tienne, donc.

Surprise, quelques (rares) exceptions existent. Il s’agit principalement de termes empruntés très tôt au portugais ou au néerlandais. Un exemple intéressant 雨合羽 (amagappa) combine le wago 雨 (ama-, « pluie ») et le mot d’origine portugaise 合羽 (kappa). Le k initial de kappa se change donc en g.

Les combinaisons

Certains mots composés japonais combinent des termes de plusieurs origines. Le rendaku peut tout à fait s’appliquer dans de tels cas.

Kango + wago : par exemple, 本箱 (honbako, « bibliothèque »), mêle une lecture on (chinoise) pour le mot 本 (hon, « livre »), avec une lecture kun (japonaise) pour le mot 箱 (hako, « boîte »). Le rendaku porte donc sur hako.

Wago + kango : c’est l’inverse pour 青写真 (aojashin, « schéma »), avec une lecture kun pour 青 (ao) et une lecture on pour 写真 (shashin).

Gairaigo + wago : ボール紙 (bōrugami, « carton ») combine le mot d’origine anglaise ボール (bōru) et le mot d’origine japonaise 紙 (kami).

Les verbes

Les verbes composés sur le modèle Nom + Verbe et Adjectif + Verbe sont notamment concernés :

片 (kata, « un seul ») + 付ける (tsukeru, « attacher ») = 片付ける (katazukeru), « ranger »

気 (ki, « esprit ») + 取る (toru, « prendre ») = 気取る (kidoru), « se donner un genre »

裏 (ura, « revers ») + 返す (kaesu, « retourner ») = 裏返す (uragaesu), « retourner, mettre à l’envers »

若い (wakai, « jeune ») + 返る (kaeru, « retourner ») = 若返る (wakagaeru), « rajeunir, retrouver sa jeunesse »

A l’inverse, les verbes composés de type Verbe 1 + Verbe 2 échappent à la règle.

繰る (kuru, « tourner ») + 返す (kaesu, « retourner ») = 繰り返す (kurikaesu), « répéter »

乗る (noru, « monter ») + 換える (kaeru, « échanger ») = 乗り換える (norikaeru), « changer de train »

Même chose pour les noms formés à partir d’un verbe de ce type : 行き帰り (ikikaeri), « aller-retour »

Les adjectifs

Les adjectifs en -i formés sur le modèle Adjectif / Nom / Verbe + Adjectif suivent généralement la règle.

青 (ao, « bleu ») + 白い (shiroi, « blanc ») = 青白い (aojiroi), « pâle »

興味 (kyōmi, « intérêt ») + 深い (fukai, « profond ») = 興味深い (kyōmibukai), « très intéressant »

分かる (wakaru, « comprendre ») + つらい (tsurai, « difficile ») = 分かりづらい (wakarizurai), « difficile à comprendre »

Les suffixes

Certains suffixes en japonais sont concernées par le rendaku… mais pas toujours !

通り (tōri)

Le suffixe -通り (-tōri) vient de 通る (tōru), « passer, traverser. Il est adjoint à un mot pour lui donner le sens de « comme, conformément à ».

S’il suit un verbe, -tōri reste inchangé. Par exemple : 思った通り (omotta-tōri), « comme je le pensais », 言った通り (itta-tōri), « comme je le disais ». A l’inverse, s’il suit un nom, -tōri devient -dōri. Par exemple : 時間通り (jikan-dōri), « ponctuel, à l’heure », 約束通り (yakusoku-dōri), « comme promis ».

Le suffixe -通り peut aussi s’utiliser pour désigner une rue. Comme il suit un nom, il devient -dōri : 大通り (ōdōri, « grande rue, avenue »), 合羽橋通り (Kappabashi-dōri), une rue d’Asakusa, un quartier de Tokyo.

好き (suki) et 嫌い (kirai)

Les suffixes verbaux -suki et -kirai signifient respectivement « qui aime » et « qui n’aime pas », exactement comme les suffixes d’origine grecque -phile et -phobe. Dans cet usage, ils subissent le rendaku. Par exemple 女好き (onnazuki), « goût pour les femmes » et 女嫌い (onnagirai), « mysoginie », ou bien 猫好き (nekozuki), « fait d’aimer les chats », et 猫嫌い (nekogirai), « fait de ne pas aimer les chats ».

Cependant, après 大 (dai, « grand »), pas de rendaku : on dit bien 大好き (daisuki, « adoré »), comme dans , « j’adore le chocolat », mais aussi 大嫌い (daikirai, « détesté »).

チョコレートが大好き (daisuki) / 大嫌い (daikirai) です。
J’adore / je déteste le chocolat.

Autres suffixes verbaux

En plus de -suki et -kirai, d’autres suffixes formés à partir d’un verbe valent la peine d’être mentionnés. Parmi eux, on trouve -づくり (zukuri), de つくる (tsukuru), « fabriquer », comme dans 手づくり (tezukuri), « fait main », ou encore -づけ (zuke), qui peut venir de 付ける (tsukeru), « attacher », comme dans 作付け (sakuzuke), « plantation », ou de 漬ける (tsukeru), « tremper », comme dans お茶漬け (ochazuke), un plat de riz trempé dans du thé vert (お茶).

Les mots redoublés

Reprenons notre 人々 (hitobito). Il existe d’autres termes similaires, créés en redoublant un mot unique de deux syllabes. Si le mot ainsi formé a une valeur de pluriel ou d’itération, alors le rendaku s’applique. Ici c’est le cas, car 人々 a une valeur de pluriel (« les gens »).

国 (kuni, « pays ») + 国 (kuni) = 国々 (kuniguni), « les pays »

様 (sama, « façon, condition ») 様 (sama) = 様々(samazama), « divers, variés »

時 (toki, « temps ») + 時 (toki) = 時々 (tokidoki), « de temps en temps »

沁み (shimi, de 沁みる, « pénétrer ») + 沁み (shimi) = 沁み沁み (shimijimi), « sincèrement, totalement »

Pour les mots formés sur ce principe avec une valeur distributive, le rendaku peut s’appliquer, mais ce n’est pas systématique. Pour le dire plus simplement, si le terme peut se traduire par « chaque… », on l’observe dans certains cas, mais pas toujours.

それ (sore, « ceci ») + それ (sore) = それぞれ (sorezore), « chaque objet »

一人 (hitori, « une personne ») + 一人 (hitori) = 一人一人 (hitorihitori), « chaque personne »

Le premier mot comporte un rendaku, mais pas le second.

Le pouvoir du -n

Lorsque le premier mot se termine par un -n (-ん), alors on observe généralement un rendaku.

本 (hon, « livre ») + 棚 (tana, « étagère ») = 本棚 (hondana), « étagère à livres »

今 (kon, « maintenant ») + 昔 (shaku, « passé ») = 今昔 (konjaku), « présent et passé »

患 (kan, « souffrance ») + 者 (sha, « personne ») = 患者 (kanja), « patient »

Vous remarquerez qu’à part 棚 (tana), il s’agit de la lecture on des kanji, donc d’origine chinoise. Ce rendaku existe sans doute parce qu’il est plus facile de prononcer une consonne voisée qu’une consonne sourde après un -n. Hondana est plus simple à prononcer que « hontana« .

Les règles qui empêchent le rendaku

En plus des grands principes que nous venons de voir, certaines règles ont pour effet de « bloquer » le rendaku.

La loi de Lyman

Nous devons ce principe à un ingénieur des mines américain du XIXe siècle, Benjamin Smith Lyman, qui pratiquait la linguistique en amateur. Il avait déjà été mis en évidence par des linguistes japonais de l’époque d’Edo.

Elle stipule que le rendaku ne s’applique pas si le second mot contient une obstruante voisée. Pour le dire plus simplement, si le deuxième mot contient un b, d, j, g, z ou un p (qui n’est d’ailleurs pas une consonne voisée), alors sa première consonne sera pas modifiée.

Prenons quelques exemples pour que ce soit plus clair :

一人旅 (hitoritabi), « voyage solo » se compose hitori + tabi. La deuxième consonne de tabi est un b, donc pas de rendaku et surtout pas de « hidoridabi« .

山火事 (yamakaji), « feu de forêt »: yama + kaji. La deuxième consonne de kaji est un j, donc pas de rendaku non plus.

北風 (kitakaze), « vent du nord » : kita + kaze. La deuxième consonne de kaze est un z.

Plus subtil : 角蜥蜴 (tsunotokage), « lézard à cornes » : le second mot, tokage (« lézard ») contient la consonne g sur sa troisième syllabe..

Cette loi est due au fait qu’un wago, même au sein d’un mot composé, ne peut en principe pas contenir plus d’une consonne voisée. Par exemple, kaze ne peut pas se changer en « gaze » car il contiendrait alors deux consonnes voisées, g et z. La phonologie japonaise ne le permet pas. Notez que cette règle ne s’applique pas aux kango : ainsi gengo (言語, « langue ») contient deux g.

La hiérarchie des règles

Notez que la loi de Lyman a la priorité sur d’autres règles. Nous avons par exemple vu que les mots basés sur une répétition à valeur itérative subissaient normalement le rendaku, comme 時々 (tokidoki). En voici un contre-exemple :

度 (tabi, « fois ») + 度 (tabi) = 度々 (tabitabi), « souvent, de manière répétée »

En théorie on devrait voir un rendaku. Cependant, comme la deuxième consonne de tabi est un b, la loi de Lyman l’interdit : le t initial reste donc inchangé (tabitabi).

Une loi absolue… ou presque

La loi de Lyman est bien pratique car elle est quasiment absolue. Il existe néanmoins quelques très rares exceptions. Ainsi, le nom 梯子 (hashigo, « échelle ») est connu pour faire le rebelle dans les mots composés.

縄 (nawa, « corde ») + 梯子 (hashigo) = 縄梯子 (nawabashigo), « échelle en corde »

Le g de hashigo devrait normalement empêcher le rendaku. Pourtant, on observe bien la forme composée –bashigo. Notez que ce n’est pas toujours le cas : 避難梯子 (« échelle de secours ») peut autant se prononcer hinanhashigo que hinanbashigo.

Un poisson nommé dvanda

Voici un point intéressant. Le concept de dvanda nous vient de l’Inde (oui, ce site vous fait voyager), plus particulièrement du sanskrit, où il signifie « couple ». Il désigne un mot composé consistant en une énumération de deux éléments. Des mots français comme « aigre-doux » ou « enseignant-chercheur » peuvent être considérés comme des dvandas.

Ceux-ci sont particulièrement nombreux en japonais et échappent à la règle du rendaku. Le cas le plus connu est sans doute :

山 (yama) + 川 (kawa) = 山川 (yamakawa), « montagne et rivière ».

Ce nom est un dvanda car il consiste en une énumération de deux deux éléments : la montagne et la rivière. Il n’y a donc pas de rendaku. Et maintenant, si je vous disais qu’il existe un autre mot écrit avec les mêmes kanji, 山川 ?

山 (yama) + 川 (kawa) = 山川 (yamagawa), « rivière de montagne ».

Saisissez-vous la différence ? Dans ce second mot, il ne s’agit pas d’une énumération : le premier mot est subordonné au second et sert à en préciser la nature : une rivière de montagne. Ici, le rendaku s’applique.

Une rivière de montagne : faut-il dire yamakawa ou yamagawa ?

Egalité ou subordination

De manière générale, si un mot composé met deux éléments sur un pied d’égalité et peut se traduire par « X et Y » (comme « montagne et rivière »), alors il n’y aura pas de rendaku.

Prenons un autre exemple :

親 (oya) + 子 (ko) = 親子 (oyako) : « parent et enfant »

Il s’agit d’une énumération avec une égalité entre les deux éléments, donc d’un dvanda. Ici, pas de rendaku.

双 (futa) + 子 (ko) = 双子 (futago): « jumeau »

Dans ce cas, le premier élément (futa) sert à préciser la nature du second (ko) : il n’y a pas d’égalité, le rendaku s’applique (futago).

Un autre exemple avec 畑 (hatake ou hata), « champ ».

田 (ta, « rizière ») + 畑 (hata ou hatake, « champ ») = 田畑 (tahata, plus rarement tahatake) : « les champs »

Ici, c’est un nom collectif, « les champs ». On a bien un dvanda, donc pas de rendaku.

小麦 (komugi, « blé ») + 畑 (hatake) = 小麦畑 (komugibatake) : « champ de blé »

Dans ce cas, le premier nom sert à préciser de quel type de champ il s’agit : ce n’est pas un dvanda, donc il y un rendaku. Notez d’ailleurs que la structure « champ de… » se forme sur la base « Nom + -畑 (-batake) ». Par exemple : 茶畑 (tabatake), « champ de thé », 葡萄畑 (budōbatake), « champ de vigne », etc.

Reprenons le mot vu plus tôt, 嫌い (kirai), « détesté ».

好き (suki) + 嫌い (kirai) = 好き嫌い (sukikirai), « goût personnel »

Ce mot signifie littéralement « ce qu’on aime et ce qu’on déteste », pour parler des préférences personnelles ou du fait d’être difficile avec certains aliments. Comme on a une équivalence entre suki et kirai, point de rendaku : sukikirai.

En revanche, lorsque 嫌い a valeur de suffixe, comme nous l’avons vu plus haut, le premier mot vient préciser ce qui est détesté ici : pas d’équivalence, pas de dvanda, le rendaku s’applique.

人間嫌い (ningengirai) : misanthropie, 犬嫌い (inugirai) : phobie des chiens, 猫嫌い (nekogirai) : phobie des chats…

Les onomatopées

Il y a une catégorie de mots que les Japonais adorent : les onomatopées. Ils consistent pour la plupart en une répétition d’un « mot » de deux syllabes, sur le modèle S1S2-S1S2, et peuvent représenter un son, une sensation, un mouvement… N’étant pas considérés comme de véritables mots composés, les onomatopées ne suivent pas la règle du rendaku.

Un exemple que j’ai vu passer très récemment : すくすく, « vite, rapidement ». On dit bien sukusuku et non « sukuzuku« .

Ou encore : くたくた (kutakuta), « épuisé », くすくす (kusukusu), « gloussement, petit rire », すべすべ (subesube), « doux, soyeux », しわしわ (shiwashiwa), « froissé, ridé »…

Attention à ne pas confondre les onomatopées avec les mots fondés sur une répétition, que nous avons vus plus haut. Par exemple, 人々 (hitobito) n’est pas une onomatopée.

Règles avancées

Passons en revue quelques cas de figure que vous croiserez plus rarement, mais que vous avez tout intérêt à connaître.

Une consonne bloquante dans le premier mot

Si le premier des deux mots comporte déjà une consonne obstruante voisée près de la limite morphémique (c’est-à-dire la limite entre ces deux mots), le rendaku peut ne pas s’appliquer. On peut considérer qu’il s’agit d’une règle similaire à la loi de Lyman, sauf que la consonne « bloquante » se trouve cette fois dans le premier mot plutôt que dans le second.

Prenons le nom 玉 (tama), « balle, boule », qui est souvent concerné par le rendaku. Par exemple : 目玉 (medama), « globe oculaire », 槍玉 (yaridama), « victime, bouc émissaire », ou encore 苔玉 (kokedama), « boule de mousse ». Tous ces mots voient le t de tama se transformer en d.

A présent, prenons le mot 勾玉 (magatama), qui désigne un petit ornement en forme de 9. La deuxième syllabe du premier mot, maga, comporte une consonne obstruante voisée, ici un g. Ce g bloque le rendaku dans le deuxième mot. Pour cette raison, on dit ien magatama et non « magadama« . On peut imaginer qu’un g suivi d’un d serait désagréable à une oreille japonaise. Même chose pour 水玉 (mizutama), « goutte d’eau » : ici c’est le z de mizu qui empêche le rendaku.

Vous avez forcément déjà vu un magatama (勾玉). En voici un exemple (source).

Notez qu’il ne s’agit pas d’une règle absolue et qu’il peut y avoir des exceptions. Toujours avec 玉, on a 杉玉 (sugidama), sorte de boule d’aiguilles de cèdre que l’on accroche à l’entrée des brasseries. Le g de sugi devrait normalement bloquer le rendaku, mais ce n’est pas le cas ici. Ou du moins pas toujours le cas, car sugitama existe aussi. Quand je vous dis que ce n’est pas une règle absolue !

L’échange de consonnes

Voici un autre cas de figure, qui peut lui aussi être considéré comme une extension de la loi de Lyman. Dans certains mots dont la seconde consonne est voisée, celle-ci peut devenir sourde et « échanger » son voisement avec la première consonne. Ce phénomène s’observe notamment avec le mot 鼓 (つづみ, tsuzumi), « petit tambour ».

舌 (shita, « langue ») + 鼓 (tsuzumi) = 舌鼓 (shitatsuzumi ou shitazutsumi)

Le nom 舌鼓 est difficilement traduisible : il désigne le fait de claquer sa langue quand on est satisfait d’un plat, comme dans l’expression 舌鼓を打つ, « se lécher les babines, se régaler ». Il peut se prononcer したつづみ (shitatsuzumi) ou したづつみ (shitazutsumi). Dans le second cas, la première syllabe devient voisée et la seconde devient sourde !

On peut y voir un rendaku contraint par la loi de Lyman : la première consonne devient voisée (つ → づ), mais comme elle ne peut pas être elle-même suivie par une autre consonne voisée, la seconde devient sourde (づ → つ). De cette manière, つづみ devient づつみ pour appliquer à la foi le rendaku et la loi de Lyman. Fascinant !

Le rendaku à l’envers

Pour quelques mots irréguliers, le rendaku peut s’appliquer « à l’envers », c’est-à-dire sur la dernière syllabe du premier mot (plutôt que sur la première syllabe du second mot). Par exemple :

細 + 波 = 細波 (sazanami) : « vaguelette, ondulation sur l’eau »

Ici, le kanji 細 (« fin, mince ») reçoit la prononciation ささ (sasa), issue du japonais archaïque, qui a le sens de « petit ». On la retrouve par exemple dans le nom 笹 (sasa), « bambou nain », ou dans le verbe 囁く (sasayaku), « murmurer ». Dans 細波 (littéralement : « fine vague »), le composé sasa– subit un voisement de sa deuxième consonne et devient saza-, pour donner sazanami.

Le cas des mots composés triples

Dans cet article, nous avons surtout parlé de mots composés à partir de deux mots. Mais que se passe-t-il s’il y en a plus ? Il y a alors ce que la linguistique appelle une « contrainte d’embranchement ».

Pas de rendaku à droite, rendaku à gauche

Dans cette situation, on a normalement un mot simple qui s’ajoute à un mot composé pour former un mot composé plus long. On peut donc avoir :

Cas n°1 : [mot 1] + [mot 2 + mot 3]
ou
Cas n°2 : [mot 1 + mot 2] + [mot 3]

Dans le cas n°1, le rendaku sera bloqué au sein du composé [mot 2 + mot 3]. Prenons un exemple : 紋白蝶 (monshirochō), nom d’un papillon, le piéride du chou. Ce mot se compose de la façon suivante :

[紋 (mon, « blason »)] + [白 (shiro, « blanc ») + 蝶 (chō, « papillon »)]
soit :
[紋 (mon, « blason »)] + [白蝶 (shirochō, « papillon blanc »)]

Ce qui aboutit à la combinaison entre 紋 (mon) + 白蝶 (shirochō), 白蝶 existant déjà en tant que nom composé indépendant, pour désigner une famille de papillons (les pieridae, si vous voulez tout savoir). Comme le nom composé initial est à droite, le rendaku ne s’applique pas et on garde donc monshirochō (et non « monjirochō).

A l’inverse, dans le cas n°2, le rendaku peut s’appliquer dans le composé [mot 1 + mot 2]. Prenons un autre exemple : 尾白鷲 (ojirowashi), « pygargue à queue blanche ». On peut le décomposer comme suit :

[尾 (o, « queue ») + 白 (shiro, « blanc »)] + [鷲 (washi, « aigle »)]
soit :
[尾白 (ojiro, « queue blanche »)] + [鷲 (washi, « aigle »)]

On a donc les composés 尾白 (ojiro, « queue blanche ») et 鷲 (washi, « aigle »). Comme le mot composé initial est cette fois à gauche, le rendaku peut s’y appliquer. On a bien ojirowashi (plutôt que oshirowashi).

Embranchements ambigus

Il peut même arriver qu’un tel « triple mot composé » ait deux prononciations différentes : avec et sans rendaku. La prononciation peut donner un indice quant à la structure et donc au sens du mot.

Prenons un exemple avec les trois éléments suivants :

塗り (nuri, « laque ») / 箸 (hashi, « baguette ») / 入れ (ire, « récipient »)

On peut former le nom 塗り箸入れ, avec deux structures différentes. Voici la première :

[塗り] + [箸 + 入れ]
[nuri] + [hashiire]
« boîte à baguettes laquée »

On a donc une boîte à baguettes (hashiire) qui est laquée. On retrouve la structure [mot 1] + [mot 2 + mot 3] vue dans le paragraphe précédent : ici, pas de rendaku (nurihashiire).

Voici la deuxième structure possible :

[塗り + 箸] + [入れ]
[nuribashi] + [ire]
« boîte à baguettes laquées »

La différence est subtile : ici, ce sont les baguettes qui sont laquées (nuribashi) et non plus la boîte. Comme on a la structure [mot 1 + mot 2] + [mot 3], le rendaku s’applique (nuribashiire).

L’usage du rendaku au quotidien

Maintenant que nous avons-vu la théorie, qu’en est-il de la pratique ? Les Japonais connaissent-ils et surtout appliquent-ils vraiment les règles du rendaku dans la vie de tous les jours ?

Théorie contre usage

S’il vous arrive d’hésiter entre deux prononciations, rassurez-vous : les Japonais rencontrent le même problème, surtout face à des mots rares écrits en kanji. Même des termes plus courants posent question, comme 悪口, « médisance » : la prononciation officielle est warukuchi, mais waruguchi est communément accepté, sans différence de sens. Idem avec 研究所 (kenkyūjo or kenkyūsho), « laboratoire, institut de recherche ».

Les noms propres ne sont d’ailleurs pas épargnés. Par exemple, le nom de famille 山田 se prononce Yamada (avec rendaku), tandis que 長田 se prononce Nagata (sans rendaku). D’autres peuvent avoir deux versions différentes : une personne dont le nom s’écrit 中田 peut s’appeler soit Nakata, soit Nakada. Idem pour 田畑, vu plus haut : Tahata ou Tahada.

Comme le français, le japonais est une langue vivante, en perpétuelle évolution. Il est donc normal que l’usage finisse par dévier de la règle. Ne vous étonnez donc pas si vous rencontrez un rendaku là où il n’y en a normalement pas, ou l’inverse.

Comment apprivoiser le rendaku

J’espère que cet article vous a permis de saisir ce qu’est le rendaku. Il s’agit d’un phénomène complexe, abordé principalement par des linguistes. Je souhaitais donc vous en présenter le fonctionnement de manière claire et pratique, sans vous assommer avec des règles finalement peu fiables, car truffées d’exceptions.

Maintenant que vous avez une vision plus nette, il vous suffit d’y prêter attention lorsque vous pratiquez l’immersion en japonais. Vous remarquerez vite quels mots sont concernés et lesquels ne le sont pas. Mieux : vous finirez par développer un « sixième sens », qui vous permettra de savoir ce qui sonne bien, avec ou sans rendaku.


Pierre


Je suis le créateur de Ganbare. Polyglotte et passionné par la culture japonaise, j'ai décidé de mettre à votre service mes meilleures méthodes pour apprendre le japonais.


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